Collaboration spéciale
de Pierre Gingras - La Presse -
Ils commencent à peine à se faire remarquer même si certains sont établis ici depuis une vingtaine d’années. Ils se comptaient alors sur les doigts de la main. Mais avec le temps et le climat changeant, ces trois papillons exceptionnels se sont peu à peu répandus. L’un d’eux est considéré comme l’un des plus beaux au monde, un autre est devenu le plus grand de toutes nos espèces diurnes et le troisième est tout d’azur vêtu. Peut-être aurez-vous la chance de les rencontrer cet été.
Par la voie maritime
Considéré aujourd’hui comme le plus coloré de nos papillons diurnes et l’un des plus beaux au monde, Aglais io, de son nom scientifique, débarque au port de Montréal, vraisemblablement en 1996, pour être découvert l’année suivante, en mai, à l’île Charron. D’origine européenne, ce paon-de-jour était une femelle qui avait passé l’hiver à l’état adulte. Toujours rare, mais établi dans la région métropolitaine, le migrant européen a eu une chance inouïe de survivre au Québec, raconte l’entomologiste Étienne Normandin, auteur de l’ouvrage Les insectes et autres arthropodes du Québec.
« Il a fallu que l’insecte résiste à l’hiver, que la femelle soit gravide, que ses œufs puissent se développer et produire des chenilles viables et découvrir une plante qui convenait à leur alimentation », explique le chercheur.
Le directeur de l’Insectarium de Montréal, Maxim Larrivée, indique pour sa part que l’absence de prédateurs ou encore de parasites a grandement contribué à la survie de l’espèce, d’autant qu’elle se reproduit peu, soit une seule fois par année, d’avril à mai, d’où sa très lente progression. On peut voir l’adulte en tout début comme en fin de saison. Contrairement à d’autres insectes d’outre-mer comme la spongieuse ou l’agrile du frêne, qui se sont avérés désastreux pour notre flore, la chenille de paon-de-jour se nourrit d’orties, des espèces répandues chez nous. Si bien qu’elle n’est pas en concurrence avec les papillons d’ici.
Par avion-cargo
Magnifique lui aussi, mais de taille plus modeste, environ trois centimètres de long, l’argus bleu arrive à Mirabel en 2005, probablement avec du fret en provenance d’Europe, où il est très répandu et connu sous plusieurs noms populaires, dont celui de bleu commun. Mais contrairement au paon-de-jour, sa progression a été très rapide, car il se reproduit deux ou trois fois par été. Toujours à partir de Mirabel, on le retrouve aujourd’hui un peu partout dans la région métropolitaine, dans le sud-ouest du Québec, en Ontario, notamment à Toronto, dans le Vermont et l’été à New York. Il devrait finir par envahir tout le continent. « En se dispersant ainsi, ils évitent du même coup la concurrence entre eux », dit Étienne Normandin.
Comme en Europe, même les fourmis locales ont été mises à contribution pour son adaptation en terre québécoise, expliquent nos experts. Les adultes vont même pondre parfois là où des fourmis élèvent des pucerons pour leur miellat. C’est qu’au cours de sa croissance, la chenille de l’argus se met elle aussi à produire du miellat faisant le bonheur des fourmis. En retour, elles veillent à la sécurité de leur protégée au lieu de l’inscrire à leur menu. Par ailleurs, l’argus bleu ne s’annonce pas dommageable non plus, insiste Maxim Larrivée. Il s’alimente de mélilot, de lotier corniculé et de trèfle, des plantes communes, et n’entre pas en concurrence avec nos espèces indigènes.
La traversée de la frontière
Arrivé des États-Unis il y a une dizaine d’années, le grand porte-queue, lui, a traversé la frontière de ses propres ailes. Signalé pour la première fois au Jardin botanique de Montréal en 2012, l’insecte spectaculaire a connu une expansion très rapide vers le nord à partir du début du siècle à la faveur du réchauffement climatique.
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