Samedi dernier, j’ai assisté à un mariage.
De vieux amis mariaient leur fils.
Je ne les avais pas vus depuis longtemps.
Quand les enfants se lancent dans le sport de compétition, vos fins de semaine y passent.
Je revoyais le marié quand il était un petit garçon jouant avec mon fils du même âge au bord de l’océan.
Âme
Ce furent des noces magnifiques, chaleureuses, très émouvantes. La mariée était spectaculaire.
J’écoutais les garçons d’honneur, tous dans la mi-vingtaine, parler de leurs rêves, de leurs projets.
Des bébés arriveraient sans doute bientôt, porteurs de toute la promesse du monde.
Nous, parents et grands-parents, les cheveux blanchis par les années plus que par la neige, évoquions comment les enfants avaient grandi vite, comment le temps avait filé.
On se remémorait les joies, les peines, l’angoisse quand la maladie frappait nos enfants.
Le temps d’une soirée, nous avions tous décidé de prendre congé du monde extérieur.
Nous n’étions pas naïfs.
Nous savions que le malheur peut frapper à tout moment, qu’il va forcément frapper un jour.
Nous savions que le mal rôde, qu’il peut mordre sans prévenir comme un chien enragé.
Nous savions qu’il y a des problèmes sans solutions et des questions sans réponses.
Mais nous savions aussi qu’il n’est pas nécessaire de toujours tout analyser, encore moins de tout gratter jusqu’au plus creux de l’âme.
Je regardais ces jeunes remplis d’idéalisme, ces gens âgés devenus sages, réconciliés avec la vie, et un souvenir m’est revenu en tête.
Fanny et Alexandre (1982), le dernier film d’Ingmar Bergman, son testament, raconte la vie d’une famille bourgeoise dans la Suède du début du XXe siècle, vue à travers les yeux d’un jeune garçon et de sa sœur.
Bergman y résume ce qu’il a retenu de toute une vie passée à fouiller l’âme humaine à travers l’étude de la famille et du couple.
À la fin du film, à l’occasion d’un baptême, le patriarche de la famille Ekdahl improvise un court discours.
Apprenons, dit-il, à aimer, sans en avoir honte, ce qu’il appelle «le petit monde».
Le «petit monde» n’a rien à voir avec la classe sociale des personnes.
Aimer le «petit monde», c’est aimer un bon repas, un bon vin, de la bonne compagnie, une maison accueillante, des rires, le partage de souvenirs amusants.
Le «petit monde», ce sont les joies simples, proches de nous, si proches qu’on les perd parfois de vue, et dont on ne réalise l’importance que si on en est privés.
Fou
On peut s’en moquer, mais ce serait une erreur.
On sait qu’il y a un monde extérieur qui ne nous fera pas de cadeaux. Mais on le range momentanément dans un tiroir mental.
Une ruse? Un subterfuge? Bien sûr, dit Bergman, mais enlevez cela à l’être humain et il deviendra fou.
Et pour profiter du «petit monde», il faut cultiver la capacité à aimer, à être généreux, à désirer peu et à accepter beaucoup.