jeudi 16 mai 2019

Le Devoir 16 mai 2019 par Alexandre Shields


Le menace plane sur de nombreux oiseaux du Québec



Les données recueillies pendant les travaux pour la rédaction de l’atlas indiquent que le canard branchu (mâle, sur la photo) se porte bien, malgré un recul des milieux humides au Québec.
Photo: Éric Deschamps Les données recueillies pendant les travaux pour la rédaction de l’atlas indiquent que le canard branchu (mâle, sur la photo) se porte bien, malgré un recul des milieux humides au Québec.

L’ouvrage pourrait être qualifié de monumental, à l’image du travail qui a été nécessaire pour sa réalisation. Plus de 100 000 heures de travail ont été menées sur le terrain par plus de 1800 collaborateurs, qui ont, sur une période de cinq ans, observé, noté, tendu l’oreille et confirmé la présence de 253 espèces d’oiseaux qui se reproduisent sur le territoire québécois.
« Sans prétention, c’est le travail le plus complet jamais réalisé en ornithologie au Québec », laisse tomber Michel Robert, codirecteur du Deuxième atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional, qui paraît ces jours-ci.
En incluant les travaux de recensement détaillés menés sur le terrain, mais aussi la compilation des données et la rédaction, la préparation de cet atlas a nécessité près d’une décennie de travail. Ce beau livre, publié 25 ans après le premier ouvrage du genre, est donc « l’ouvrage scientifique de référence » pour les espèces qui nichent sur l’immense territoire qui se situe au sud du 50e parallèle, souligne le directeur de l’Observation des oiseaux de Tadoussac, Pascal Côté.
On y traite bien sûr de la répartition, des effectifs et de la situation globale d’espèces relativement connues : la mésange à tête noire (dont la population est en « forte hausse »), la bernache du Canada (qui s’est adaptée aux « milieux habités »), le merle d’Amérique (victime malheureuse de « prédateurs » comme le chat domestique), le pygargue à tête blanche (dont les effectifs se sont relevés « de façon spectaculaire ») ou encore le moineau domestique, dont la population aurait chuté de plus de 70 % depuis 1990.
Les ornithologues professionnels et amateurs qui ont pris part aux recherches pour découvrir des indices de nidification ont aussi mené des travaux pour retrouver la trace d’espèces nocturnes, et donc plus difficiles à observer, ou encore d’espèces en forte diminution.
C’est le cas du rarissime pluvier siffleur, dont il ne subsisterait pas plus d’une vingtaine de couples aux Îles-de-la-Madeleine, en raison de « l’activité humaine » sur les plages où il niche. La situation est tout aussi dramatique pour des variétés d’hirondelles, constate Michel Robert. C’est le cas de l’hirondelle de rivage, une espèce dont la population au Québec a connu « une baisse spectaculaire qui serait de l’ordre de 99 % » depuis 1970.
Dégradation
À la lumière de l’état de situation de la faune aviaire dressé dans l’atlas, M. Robert évalue d’ailleurs que la situation s’est dégradée pour une majorité des espèces recensées au cours des dernières années.
Les espèces les plus touchées sont les oiseaux dits « insectivores aériens », donc qui se nourrissent d’insectes volants. C’est le cas des hirondelles et des engoulevents, mais aussi du martinet ramoneur, désigné comme « menacé » au Canada et qui « subit probablement les contrecoups de l’utilisation des pesticides » et de la réduction marquée des insectes.
D’autres espèces, qualifiées de « champêtres », ont subi des déclins importants en raison de l’urbanisation et de l’industrialisation de l’agriculture au Québec, qui s’est tournée davantage vers la monoculture. L’exemple de l’alouette hausse-col est particulièrement éloquent, selon Michel Robert. Autrefois « très commun dans nos campagnes », cet oiseau a accusé un recul sévère depuis une trentaine d’années. L’atlas évoque une chute de plus de 75 % des effectifs depuis 1990.
Le déclin des milieux naturels, dont l’éradication de très nombreux milieux humides du sud de la province, a également eu des effets néfastes. Pour Pascal Côté, il importe donc de mieux protéger ces milieux, mais aussi les « vieux peuplements » de la forêt boréale, un milieu naturel qui constitue « la plus importante pouponnière d’oiseaux en Amérique du Nord ». Or, l’industrie forestière ne cesse de gruger ces territoires, notent les auteurs de l’ouvrage.
Le directeur de l’Observatoire des oiseaux de Tadoussac estime qu’il serait en outre pertinent de s’intéresser à la situation loin du territoire québécois, puisque plusieurs espèces (dont celles de la famille des parulines) migrent sur plusieurs milliers de kilomètres chaque année, pour se rendre parfois jusqu’en Amérique centrale en période hivernale. Elles subissent donc les impacts de la dégradation ou de la destruction des milieux naturels tropicaux, qui enregistrent aussi des reculs marqués.
Retour des rapaces
Pascal Côté et Michel Robert soulignent par ailleurs que certaines espèces se portent globalement mieux depuis quelques années. C’est le cas de certains rapaces, dont le faucon pèlerin et l’épervier de Cooper, deux oiseaux qu’on peut voir en milieux habités et dont l’existence a longtemps été menacée par l’usage de DDT, un produit toxique qui fragilisait la coquille des oeufs.
« Ils ont des succès de reproduction incomparables par rapport à ce qui existait il y a de cela 25 ans, explique M. Robert. Et la perception du public a changé par rapport aux rapaces. Avant, ceux-ci étaient perçus comme des prédateurs qui s’attaquaient à différentes espèces. Il y avait une mauvaise presse et beaucoup d’abattage de ces oiseaux. Mais les choses ont changé et il y a aussi eu des programmes de rétablissement pour certains oiseaux. »
Le suivi de plusieurs espèces est aussi plus important que jamais. Par exemple, l’Observatoire des oiseaux de Tadoussac mène des programmes annuels de recensement des oiseaux, dont les rapaces, qui utilisent systématiquement le secteur des dunes de Tadoussac dans leur route migratoire. Dans le cas des nyctales, Pascal Côté coordonne aussi un programme intensif de captures et de baguage des oiseaux, qui peuvent ainsi être suivis dans leur migration, laquelle peut les amener dans le sud des États-Unis.
D’ailleurs, ces travaux, tout comme ceux qui ont permis la réalisation de ce Deuxième atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional, sont le fait de véritables « passionnés », insiste Michel Robert.
« L’ornithologie est aussi un loisir qui est en augmentation foudroyante depuis au moins une vingtaine d’années, ajoute-t-il. D’un point de vue global, il semblerait que c’est même en train de dépasser la popularité de l’horticulture. Cet intérêt, on le voit chez ceux qui aiment photographier des oiseaux, ou encore installer une mangeoire, mais on le voit aussi chez les ornithologues un peu cinglés qui vont faire des centaines de kilomètres pour voir une espèce rare. »

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