mardi 14 mai 2019

Université de Montréal - Changements climatiques: les oiseaux de forêt boréale migreront vers le nord




Changements climatiques: les oiseaux de la forêt boréale migreront vers le nord

  • FORUM
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  • LE 22 NOVEMBRE 2018
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  • DANIEL BARIL
Au cours des prochaines décennies, l’habitat des oiseaux de la forêt boréale du Québec connaîtra des transformations majeures dues aux changements climatiques.

D’ici 30 ans, des espèces d’oiseaux qu’on rencontre aujourd’hui uniquement dans les basses Laurentides et dans la vallée du Saint-Laurent pourraient se retrouver dans le Nunavik.
Au cours des prochaines décennies, l’habitat des oiseaux de la forêt boréale du Québec connaîtra des transformations majeures dues aux changements climatiques. Des espèces qu’on ne rencontre aujourd’hui que dans les basses Laurentides et dans la vallée du Saint-Laurent pourraient se retrouver sur les rives de la baie d’Ungava dans une trentaine d’années.
C’est l’un des constats qui ressort d’une étude prospective sur la distribution des espèces aviairesréalisée par Liliana Perez, professeure au Département de géographie de l’Université de Montréal, et deux chercheurs sous sa direction, soit Jonathan Gaudreau, diplômé de la maîtrise, et Saeed Harati, doctorant.
«Notre étude porte sur la disponibilité des niches écologiques de 37 espèces d’oiseaux qui résident à l’année dans la forêt boréale, précise Mme Perez. Nous avons analysé l’effet d’une augmentation du gaz carbonique sur ces niches selon deux scénarios de concentration et projeté les résultats pour 2050 et 2070.»
Ces 37 espèces regroupent notamment le geai gris, la mésange boréale, la mésange à tête noire, le corbeau commun, le gros bec errant, le roitelet à couronne rubis, la sittelle à poitrine rousse, le junco ardoisé et plusieurs variétés de parulines, de macareux et de bruants.

Températures et précipitations déterminantes

Les chercheurs ont d’abord cerné quelles variables géographiques et bioclimatiques sont les plus importantes pour assurer les conditions propices à l’établissement des espèces retenues. Six variables se sont avérées déterminantes: l’écart annuel entre les températures maximale et minimale, la température moyenne pendant le trimestre le plus froid, les précipitations saisonnières, les précipitations durant la saison la plus humide, l’élévation du sol et la disponibilité de l’eau.
«Ces six variables expliquent 53 % de la distribution spatiale des 37 espèces de notre étude, soutient la professeure. Les deux facteurs principaux sont la température moyenne durant la saison froide et les précipitations pendant la saison humide. Plus la température du trimestre le plus froid est élevée à un endroit donné, plus le nombre d’espèces d’oiseaux à cet endroit sera haut. Le même rapport s’observe pour les précipitations au cours de la saison des pluies.»
En revanche, plus les écarts de températures et de précipitations sont grands durant l’année, moins le nombre d’espèces présentes sera élevé.
Afin de connaître les répercussions des changements climatiques sur ces habitats et de là sur l’abondance des espèces aviaires, les chercheurs ont par la suite mesuré l’effet que pourraient avoir des concentrations de gaz carbonique (CO2) de l’ordre de 538 ppm (parties par million) et de 670 ppm. À titre de comparaison, le niveau actuel de CO2 dans l’atmosphère est de 410 ppm.

Cap sur le nord

Dans les deux cas, les projections montrent une expansion marquée vers le nord des habitats de la majorité des espèces concernées. Avec une concentration de 538 ppm de CO2, des habitats au sud d’une ligne allant de la réserve faunique La Vérendrye jusqu’au lac Saint-Jean et favorables à une vingtaine d’espèces (zones jaunes sur les cartes) pourraient s’étendre au-delà du 50e parallèle, soit jusqu’au lac Mistassini.
Tout le sud du Québec, de Mont-Laurier jusqu’à l’île d’Anticosti, abriterait des habitats propices aux 37 espèces (zones vert foncé). Par contre, les habitats du sud-ouest de la Montérégie et de la région du lac Manouane et du réservoir de la Chute-des-Passes (entre le lac Saint-Jean et le réservoir Manicouagan) seraient perdus. «Ça ne veut pas dire qu’il n’y aurait plus d’oiseaux, mais que ces territoires ne seraient pas favorables aux espèces actuelles», souligne Mme Perez.
En 2070, les zones favorables aux 37 espèces seraient encore plus étendues, avec toutefois une perte d’habitats dans la région des Escoumins, sur la rive nord du Saint-Laurent, et, sur la rive sud, entre Trois-Pistoles et Rimouski. «Ces pertes seraient probablement dues à la montée du niveau des eaux du Saint-Laurent», estime-t-elle.

Paradoxe nordique

Avec une concentration de CO2 de 670 ppm, les habitats du nord-est de la baie d’Ungava pourraient abriter une vingtaine d’espèces boréales en 2050. Selon la chercheuse, ce scénario devient «inquiétant» en 2070. Les habitats propices aux 37 espèces s’étendraient alors au-delà du 50e parallèle, soit jusqu’au Labrador. Tout le territoire entre la baie d’Ungava et le Labrador pourrait héberger une vingtaine d’espèces à l’année.
Cette projection illustre ce que les chercheurs appellent le paradoxe nordique de la biodiversité: alors que la hausse des températures représente un risque d’extinction pour plusieurs espèces, leur nombre dans les régions nordiques devrait s’accroître.
«C’est toutefois préoccupant parce que cela signifie un déséquilibre important des écosystèmes, dont le dégel du pergélisol, déclare la géographe. Il y aura moins de migration dans le sud du Québec, mais de nouvelles espèces vont s’y installer, ce qui augmentera la compétition pour les ressources. L’effet de cette compétition est inconnu. Si les espèces du sud se déplacent vers le nord, il faudra aussi voir à préserver des habitats qui leur soient favorables et limiter les coupes forestières.»
Ces travaux sont à poursuivre afin de préciser quelles espèces bénéficieront ou souffriront de ces changements climatiques.

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